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Filatures et moulinages


GRANE


Architecture artisanale, commerciale ou tertiaire, Architecture industrielle

Grande Rue
26400 GRANE

Le 19e siècle est le siècle de la soie, pour Grâne en particulier qui voit se développer la sériciculture ou « éducation »  du ver à soie et les usines assurant les premières transformations de ce textile naturel. Néanmoins, pendant le premier tiers du siècle, le travail de la soie produite par les sériciculteurs grânois reste tout à fait artisanal. En 1850, on recense 85 000 mûriers à Grâne.

La deuxième implantation soyeuse de notre commune, après celle du quartier de Buffières et avant les deux usines de Trinquet et de Val Brian, est celle du village. Elle est entreprise par Jean-Baptiste Aribat en 1832. Ce sera d'abord une filature, à laquelle en 1843 s'adjoint un moulinage. La force motrice lui est procurée par l'eau de la Grenette, partiellement détournée dans un canal d'amenée prenant naissance à un barrage et passant sous le pont. L'eau fait tourner une roue avant de retourner à la rivière.

L'usine procure à Aribat une fortune conséquente qui lui vaudra d'être maire désigné de notre commune en plusieurs périodes d'une durée totale de près de 25 ans, et à son épouse d’être marraine de la cloche de la paroisse. Dès 1858, il cède l’affaire à son gendre Pierre-Antoine Chaix, précédemment notaire à Saillans, et pourra à 50 ans vivre de ses rentes. Abandonnant la mairie de Grâne en 1862, il se retire à Paris. Par la suite, l’usine aura plusieurs propriétaires, avant d’être reconvertie avec des réussites diverses dans plusieurs domaines (fabrique de cordes de guitare, champignonnière…). Elle a depuis été aménagée en appartements.

Les deux types de bâtiments soyeux, souvent couplés, implantés à Grâne correspondent aux deux opérations de base qui permettent d'aboutir au fil de soie prêt à être tissé.

Il fallait d'abord dévider sans le casser le fil qui constitue le cocon. Pour dissoudre le grès, on plongeait les cocons dans une bassine d'eau chaude et on agitait avec un petit balai de genêt ou de bruyère qui enlevait la « bourre ». Une fois l'extrémité du fil trouvée, on l'enroulait autour d'un dévidoir ou guindre.

Cette méthode artisanale est reprise dans la filature, mais au lieu de filer à un bout, on rassemble deux, trois, quatre ... jusqu'à huit brins qui, à travers une filière, se regroupent en un seul fil. Celui-ci, par le frottement qu'il subit en croisant d'autres fils, est expurgé de son eau avant d'aller s'enrouler autour du guindre, formant un écheveau. Les filatures grânoises comptaient 100 tours à filer en service en 1847, 88 en 1849. En mars 1871, on recense 128 bassines, mais en 1877-78, on n'en compte plus que 16 à 30 en activité.

Pour augmenter la résistance du fil de soie « grège » et lui donner un aspect plus agréable, il faut le mouliner, c'est-à-dire, après avoir mouillé le fil, le dévider sur une bobine appelée roquet, le doubler, puis le tordre. Cette torsion s'effectue sur une véritable machine de forme ronde ou ovale : le moulin. Le fil se déroule d'un roquet vertical et va s'enrouler sur une bobine horizontale. Une double rangée de ces bobines tourne par friction d'une courroie contre les fuseaux. La soie « ouvrée » est ensuite mise en écheveau ou flotte et passée dans la vapeur d'eau pour fixer la torsion. Dans le moulinage, un air très humide et une température de 24° sont nécessaires pour que la soie ne casse pas. Cela explique que les ateliers voûtés et aux murs très épais soient le plus souvent construits en contrebas par rapport au sol, éclairés par des fenêtres hautes.

Cependant, si les moulinages ont une activité quasiment permanente, les filatures sont fréquemment interrompues, en particulier pendant l'hiver. L'introduction de la machine à vapeur constitue la principale innovation technique dans les usines de soie. Elle sert surtout à la filature : elle fait tourner les guindres où s'enroule le fil et chauffe l'eau des bassines à dévider. Elle ne remplace cependant pas l'énergie hydraulique dont on apprécie le moindre coût, la souplesse d'utilisation, la meilleure adaptation aux besoins du moulinage.

En 1843, Aribat fait placer une machine à vapeur dans l'angle de ses bâtiments afin de faire tourner « la filature et la fabrique en période de basses eaux ». Sa machine a une force de 8 CV.

La condition ouvrère:

Les salaires ouvriers stagnent jusqu'à la fin du siècle. Une moyenne donne un salaire journalier de 1,88 F pour les hommes, 0,95 F pour les femmes et 0,59 F pour les enfants. En 1859, un kg de pain vaut 0,35 F, un kg de viande, 1 F à 1,20 F, une douzaine d'½ufs 0,50 F, un litre de vin 0,40 F, une paire de souliers homme 4 F, une robe de 5 à 8 F. Un homme gagne en une journée de quoi acheter un peu plus de 5 kg de pain, une femme 2,7 kg, un enfant 1,7 kg. Il faudra à cet homme deux à trois journées de salaire pour renouveler ses chaussures, et à cette femme une bonne semaine pour s'acheter une robe. Un enfant, au terme de sa journée, apporte à ses parents de quoi acheter une douzaine d’½ufs.

Le personnel des filatures et moulinages est à plus de 90 % composé de femmes et d'enfants, les rares hommes occupant pour la plupart les postes d'encadrement. Le patron renvoie ses ouvriers quand il le veut, surtout en hiver lorsque le stock de cocons est épuisé ou que le canal est gelé.

Les horaires de travail sont démentiels. Aucun texte ne les limite. Hommes, femmes, enfants travaillaient 15 heures, voire 16 ou 17 heures par jour dans la première moitié du siècle, avec 2 h 1/2 d'interruption pour les repas, soit 13 h ½ ou 14 h 1/2 de travail effectif, en général  commencé à 3 ou 4 h du matin.

Pas de limitation d'âge non plus. La loi de 1841 limite, en principe, la durée journalière pour les enfants et interdit le travail de nuit aux moins de 13 ans, En 1855 on trouve encore dans un registre 75 enfants de moins de 14 ans sur 350 inscrits. Parmi eux, onze ont 11 ans, cinq ont 10 ans, une fillette a 8 ans. 

La tuberculose, en particulier, fait des ravages. Les décès de jeunes ouvrières en soie sont très nombreux dans nos registres d'état civil. A l'usine, aucune disposition n'est exigée pour assurer la sécurité des ouvriers et éviter les accidents. Les maladies du ver à soie (pébrine, flacherie, muscardine), la concurrence du Japon et de la Chine, l’arrivée de la soie artificielle entraînent vers la fin du XIXe siècle une chute inexorable de la sériciculture et de l’industrie de la soie, prélude à leur disparition.Aujourd'hui, les cheminées et les canaux sont encore là pour nous rappeler cette combinaison des sources d'énergie.

                                                                                              Robert SERRE

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Notice créée le 04/07/2017
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